Qu’entend-on par récit?
« Le récit est une manifestation d’expérience qui est en même temps une manifestation de sentiment » (A.G. D’Ambrosio, Philosophy of the story, 1998).
Selon le philosophe D. Dennett, « le cerveau humain tisse une toile de mots et d’actes, surtout de récits, spontanément, tout comme une araignée tisse sa toile ou le castor construit son barrage » (D. Dennett, Tools for thinking).
Créer des histoires est un phénomène universel, une expression de l’esprit qui tente d’attribuer un sens à ce qui l’entoure. « Chacun de nous construit une histoire, qui est notre identité » (O.Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau). Le récit représente donc un moment de croissance personnelle, qui nous aide à trouver des réponses et à avoir plus confiance en nous.
Quoi qu’il en soit, s’il est indéniable que le récit est une forme d’expression profondément inhérente à la nature humaine, en faisant de la narration un outil formel de transmission de contenus et de messages, il faudra considérer qu’il y a certaines règles à suivre et que l’élément fondamental, pour l’écrivain mais aussi pour le lecteur, est l’imagination.
Quelles sont les caractéristiques indispensables d’une histoire?
Comment une histoire peut-elle » toucher » le plus grand nombre de personnes ? Les histoires à succès sont celles qui parviennent à créer un pont intellectuel et émotionnel entre le narrateur et le lecteur. Pour y parvenir, en citant G. Bateson (« Where the angels hesitate », 1989), « le contenu d’une histoire est important, de même que sa structure et la possibilité qu’elle ait de communiquer quelque chose ». Bateson identifie quatre éléments importants :
- le contenu,
- le contexte,
- l’intrigue,
- le « tissage« , la structure narrative.
Le premier élément que l’écrivain rencontrera est le contenu,une idée qui découle d’une inspiration, d’un stimulus créatif. L’idée devient ensuite un concept, puis une histoire, une intrigue, et enfin un récit.
Pour matérialiser son inspiration, chaque écrivain doit alors trouver son style et son langage. Pour matérialiser son inspiration, chaque écrivain doit alors trouver son style et son langage. Ceux-ci lui permettront de créer un certain suspense pour ne pas ennuyer son destinataire, et de faire apparaître une réalité faite de personnages originaux et intrigants, et de situations émotionnelles. Dans le processus créatif, l’écrivain ne doit pas définir chaque détail ; au contraire, le lecteur se sentira plus impliqué s’il a la liberté d’utiliser son imagination. Ernest Hemingway a été mis au défi d’écrire la plus belle et en même temps la plus courte histoire du monde (Gilead A. – How Few Words Can the Shortest Story Have ?). Acceptant le défi, il écrit cette phrase sur un morceau de papier :
« A vendre. Chaussures de bébé. Jamais portées ».
On peut dire que ce grand écrivain a gagné son pari avec brio, en réussissant à transmettre un message touchant directement le cœur sans donner d’explication superflues. L’histoire prend un sens profond qui va au-delà de ce qu’il parait, avec une énigme de seulement six mots, il pousse lecteur à se poser des questions, à compléter son œuvre en utilisant son imagination.
Comment une idée peut naître
La structure générale des histoires que nous connaissons depuis les temps anciens, comme Gérard Genette la décrit en tant que » palimpsestes » – sont finalement assez linéaires et limitées mais restent très variables, grâce à la créativité et à l’imagination des auteurs. Dans le cadre de ce que Propp a également fait dans sa « Morphology of the tale » (1928), Christopher Booker définit dans son livre « The Seven Basic Plots » (2004) sept types de formules qui sont, selon lui, à la base de toutes histoires:
- Le héros vainc le monstre/le criminel ;
- Des haillons aux richesses : le protagoniste connaît le succès ;
- La mission principale : le personnage (ou le groupe de personnages) part pour une mission capitale ;
- L’aller-retour : l’aventurier voyage, vit une expérience qui change sa vie et rentre chez lui ;
- La comédie : le chaos et la confusion mènent à la résolution ;
- La tragédie : les personnages paient le prix de leurs échecs ;
- La renaissance : le personnage émerge transformé par la découverte de soi.
Une infinité d’histoires différentes peuvent évoluer autour de ces germes d’histoire, chacune d’entre elles pouvant en principe être rattachée à l’un des sept points.
Mais comment trouver des idées pour l’écriture ? Essayons de définir quelques pistes qui permettent d’identifier le thème central du récit, notamment en se concentrant sur le thème de notre travail : l’escape room.
Tout commence par une idée, un stimulus créatif, qui peut venir de:
- D’une actualité lue dans un journal, d’un rêve, d’un fait ou d’un scénario dont nous avons été témoins par hasard et qui retiennent notre attention. Trouver l’inspiration peut être plus facile que prévu pour un esprit entraîné à saisir les détails, à observer et à stimuler l’imagination. En regardant autour de nous, il est en effet possible de formuler des idées à partir d’événements que nous ne pouvons observer que de l’extérieur, sans connaître les raisons des actions qui les ont générés. Par exemple, en 2017, l’histoire d’un couple canadien ayant joué au loto a été publiée dans les journaux. Leur billet était gagnant (5 millions de dollars) mais quand l’homme a appris la somme, il a disparu ! Et si la vérité était que la partenaire qui semble être la victime l’avait enfermé afin de ne pas partager les gains ? Où pourrait-il se cacher ? Qui aurait pu remarquer quelque chose et se méfier ? Essayer de répondre à des questions similaires peut donner naissance à une histoire. Nous exploitons donc la réalité qui nous entoure, nous aiguisons notre esprit d’observation pour recueillir des fragments d’histoire et nous nous amusons à chercher des significations. Ce genre d’inspiration n’est pas prévisible! Un conseil est donc de ne jamais négliger une idée surgie par hasard et de noter toutes les inspirations possibles qui, tôt ou tard, peuvent s’avérer utiles !
- Une image. De nombreux écrivains puisent leurs meilleures idées dans des images évocatrices : une peinture, une photo de famille, etc. Beaucoup d’images nous permettent de nous interroger. Par exemple, regardons le tableau : Que se passe-t-il dans cette scène ? Par exemple, regardons le tableau : que se passe-t-t-il dans cette scène ? Qui est la femme au premier plan ? Que boit-elle ? Qu’est-il écrit sur le sol ? Quelle histoire se cache derrière les regards des trois femmes qui regardent la scène ? Quelle est la relation entre elles ? L’une d’entre elles semble inquiète, une autre confuse, mais la troisième semble cacher quelque chose… Qu’est-ce qui a pu se passer avant et qu’est-ce qui va se passer après?
Southall J. E. (1897), Sigismonda Drinking the Poison, Birmingam Museum
- Une expérience vécue à la première personne ou imaginée, racontée de manière originale. Par exemple imaginer d’où viennent les bruits étranges de l’appartement au-dessus du nôtre la nuit ; ou imaginer ce que nous ferions si nous étions kidnappés par des extraterrestres en chemin pour aller travailler.
- Histoires de personnes réelles, d’une personne célèbre ou que vous connaissez bien (un universitaire célèbre, un ancêtre, un voisin, etc.), dont les expériences, les caractéristiques et les actions peuvent servir de base à une réédition plus ou moins inventive de faits réels. Par exemple : en 2013, Elif Bilgin, à 16 ans, a remporté le concours scientifique de Google pour son projet « Peut-on faire du plastique avec des peaux de banane ? Il a inventé une méthode de création de bioplastique à partir de peaux de bananes pour remplacer le plastique traditionnel à base de pétrole. Que pourrait-il arriver si une entreprise sans scrupules voulait lui voler ses dernières recherches ?
- Un événement qui s’est produit dans le passé, se référant à des événements intéressants d’un point de vue original ou peut-être même débouchant sur un scénario imaginatif : que se serait-il passé si… ? Par exemple : le Saint Graal, le Suaire de Turin, l’Arche d’Alliance, le trésor du Temple de Salomon, le Tombeau du Christ et les manuscrits de Qumran : voilà quelques-uns des présumés secrets que les Templiers auraient découverts et conservés. Il s’agit d’une chaîne de mystères qui dure depuis deux mille ans. Celle des Templiers est un mythe qui défie le temps et l’historiographie publique. Quelle est la réalité derrière cette légende ? Et s’il y avait un moyen de localiser l’endroit où ils ont caché l’une de ces précieuses reliques ?
- Une situation ordinaire, en imaginant toutefois que la routine est brisé par un événement extraordinaire ou inattendu. Par exemple : il était 20 heures et comme d’habitude ce jour-là, vous allumez la télévision pour regarder le journal télévisé. Mais lorsque vous appuyez sur le bouton de la télécommande, quelque chose d’incroyable se produit : une lumière violette éblouissante s’allume et vous vous retrouvez à l’intérieur du téléviseur.
- Une combinaison aléatoire d’éléments à assembler. L’écrivain italien Gianni Rodari dans « Grammatica della fantasia » (1973) suggérait de choisir deux mots en ouvrant un dictionnaire ou un livre, puis d’écrire une histoire qui exploite les deux sujets.
Définition du thème
L’idée seule ne suffit pas, l’auteur doit aussi se concentrer sur le message qu’il veut faire passer à travers son histoire. La première étape consiste à définir le « concept » : il s’agit d’une idée ayant un certain sens, qui représente un message et vise à communiquer quelque chose, conduisant le lecteur d’un point de départ à un point d’arrivée.
Le concept doit partir d’un message que l’écrivain veut transmettre à ceux qui le lisent ou l’écoutent et qui se trouve donc derrière l’idée. Le concept répond à un objectif très précis que l’écrivain souhaite poursuivre.
À partir de l’idée et du concept, il est possible de définir le thème : de quoi parle réellement notre histoire ?
Prenons un grand classique de la littérature, « Moby-Dick ; or, The Whale » de Melville (1851). Quel est son véritable thème ? La chasse à la baleine dans les années 1800 ? Ou plutôt la lutte de l’homme contre les forces de la nature ? Jusqu’où peut aller la folie humaine si elle veut affirmer sa place? Moby Dick est manifestement une métaphore, un symbole ambivalent confronté à diverses interprétations possibles.
En réfléchissant au sujet, il est donc essentiel de se poser quelques questions avant de continuer:
- Quel genre de relation voulons-nous établir avec notre lecteur ? Il ne faut pas oublier que l’objectif de l’écrivain doit être de faire en sorte que le lecteur s’identifie à l’histoire : s’identifier au personnage d’une histoire signifie se laisser emporter et se sentir en quelque sorte impliqué dans ses événements. Pour parvenir à créer une relation intellectuelle et émotionnelle, l’appel à l’action devient central. Il doit être adapté au groupe cible et donc se concentrer sur les éléments qui l’attirent.
- Que cherchons-nous à transmettre ? Les histoires ont besoin d’un développement qui touche aux émotions de ceux qui les écoutent ou les lisent. Demandons-nous, dans notre histoire, quels sont les avantages que peut tirer le lecteur de sa participation dans l’histoire, de son rôle d’allié du protagoniste. Il est établi que, pour faire cela, il faut connaître son public et comprendre ses besoins réels.
Chaque fois que le lecteur est immergé dans une histoire, qu’il vit des expériences racontées à la première personne et qu’il devient le personnage principal, l’écrivain doit être fier d’avoir atteint son objectif principal.
Dans ce processus qui part de l’évolution de l’idée et aboutit au concept, un autre élément central est défini, à savoir le genre de récit: en fonction du chemin que l’auteur décide de prendre à partir de l’idée choisie, il crée un roman policier, une comédie, un drame, etc.